Robert Fossier, historien majeur du Moyen Age, est mort

Publié le par loic Bureau

Source: Le Monde.fr | 01.06.2012   Par Philippe-Jean Catinchi

 

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Médiéviste d'exception, Robert Fossier est mort le 25 mai à Meudon (Hauts-de-Seine) à l'âge de 84 ans. D'une érudition impressionnante, ce pédagogue hors pair fut, dans le sillage de Marc Bloch, l'un des meilleurs champions de l'histoire économique et sociale telle que la prônait l'école des Annales.


Né au Vésinet (Seine-et-Oise, aujourd'hui Yvelines) le 4 septembre 1927, Robert Fossier est le fils d'un ancien combattant de la Grande Guerre, dont la formation militaire explique la lucidité critique lors de la signature des accords de Munich (il se souvient, à 11 ans, avoir entendu son père pester : "Quels cons !" devant la complaisance française face à Hitler).

Le jeune Fossier reçoit une formation catholique classique, grandit en marge du bruit du temps, même si l'émeute antiparlementaire du 6 février 1934 est son premier souvenir politique. L'enfant se nourrit de la bibliothèque familiale où sa mère, qui enseigne le piano, encourage son goût pour l'histoire (Octave Aubry comme Augustin Thierry) et le roman (Marcel Proust). Après de solides études à Paris au lycée Janson-de-Sailly - il évoquait son adresse alors, durant l'Occupation, rue Lauriston, en face du siège de la Gestapo -, il intègre Henri-IV, où il prépare le concours d'entrée à l'Ecole nationale des chartes, rencontrant ses premiers maîtres, Henri Besse et Hubert Méthivier.

CONTRE LA DOXA

http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/b0/Saint_Bernard.jpg/150px-Saint_Bernard.jpgIl a le goût de l'enseignement déjà et se reconnaît d'ailleurs une vocation de géographe plus encore que d'historien. Pourtant, il renonce à l'Ecole normale supérieure et opte pour l'Ecole des chartes, donc. Il y apprécie la spécificité des méthodes de recherche et les applique pour sa thèse de 3e cycle sur La Vie économique de l'abbaye de Clairvaux, de l'origine au XVIe siècle (1949). En disciple assumé de Marc Bloch, il bouscule les conventions par la radicalité de ses analyses, stigmatisant les Cisterciens comme ceux qui ont "saccagé la paysannerie" en érigeant ces granges qui ruinaient l'habitat traditionnel. S'il concède à l'ordre d'avoir introduit le salariat agricole dans le monde rural, il rompt ses premières lances avec la doxa admise. Ce qui restera sa signature.

Sorti archiviste-paléographe dans la promotion 1949, Fossier devient conservateur à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris (1949-1953), enseigne au lycée de Fontainebleau (1953) puis au lycée Carnot à Paris (1955), avant d'accéder à l'enseignement supérieur. D'abord assistant d'histoire du Moyen Age à la Sorbonne (1957), il intègre l'université de Nancy en 1961, comme chargé d'enseignement, puis comme professeur. Agrégé, distingué par la médaille d'argent du CNRS (1971), peu après la publication de sa thèse de doctorat consacrée à La Terre des hommes en Picardie jusqu'à la fin du XIIIe siècle (1968), il retrouve la Sorbonne en 1971, où il exerce son magistère jusqu'à la retraite (1993).

http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcRxR6Oh2WvUyR-2ZcUOftP3yGFbJX-xQHe3QcpAo2cenC9kqLLNAu fil des décennies, où, dans le sillage de Charles-Edmond Perrin et Edouard Perroy, en compagnonnage intellectuel avec Bernard Guenée, Jacques Le Goff et Robert Delort, il livre à la fois des synthèses décisives (Histoire sociale de l'Occident médiéval [1970], Enfance de l'Europe (Xe-XIIe siècle), Aspects économiques et sociaux [1982], Le Travail au Moyen Age [2000]) et des travaux qui répondent autrement à la demande sociale de "Moyen Age". Loin des élites dont Georges Duby se fait le subtil analyste. Optant pour le sombre ou l'obscur plutôt que pour la clarté et les ors.

LE MOYEN AGE DES ANONYMES

http://www.babelio.com/couv/12379_680088.jpegDepuis sa thèse magistrale sur le monde picard, qui l'occupa douze ans et dont les feuilles préparatoires lui permettent jusqu'à la fin de puiser matière à ces articles qu'on offre en hommage à un confrère décédé ou promu à l'éméritat, Fossier travaille à restituer un Moyen Age humain, concret, loin des visions splendides ou caricaturales admises depuis le XIXe siècle. L'histoire "oubliée" des humbles et des anonymes, il l'aborde par une documentation souvent aride, où la matérialité est le maître mot. Mobilisant l'indice "au ras du sol", l'outil des séries statistiques comme l'archéologie et la photo aérienne, il délaisse le monde des élites et des privilégiés pour se concentrer sur "Ces Gens du Moyen Age" (titre de son dernier grand œuvre, paru chez Fayard en 2007) qui échappent aux lumières des annales et des chroniques.

Il refusa de parler de "féodalité", pour se satisfaire du moins dogmatique "pouvoir seigneurial", et mit en évidence la réorganisation des terroirs villageois à l'initiative de la seigneurie, des structures de base à la conscience collective qui en naît (encellulement, terme qu'il invente). Si la chronologie qu'il défend - autour de l'an mil - a pu être remise en cause, le processus, lui, est admis par tous.

http://t0.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSW-EiI8um9NcUBow-yZ9r4kDBj9DBioXD7FJeddHmxek2xZqLIFort des enquêtes de terrain (avec Jean Chapelot, Le Village et la maison au Moyen Age, Hachette, 1980), Robert Fossier a porté une parole vigoureuse, claire et précise, pour défendre les faits contre les spéculations théoriques. D'où son verbe tranché, sans prudence excessive, qui lui fait rompre des lances avec les visions d'Epinal du Moyen Age de Jeanne Bourin (La Chambre des Dames) comme avec les institutions ou les instructions ministérielles si besoin. D'un tempérament entier, ce médiéviste malicieux qui n'a jamais dissous le social dans le culturel est l'un des derniers géants de la génération qui assura la relève des Bloch et Febvre.

Publié dans Etat Civil

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